1. Objectifs

Intentions :
« Je souhaite poser ici les jalons d’une réflexion relative à l’hypothétique étiologie sociosomatique qui pourraient contribuer à expliquer le haut taux d’HG [hyperemesis gravidarum] chez les mères migrantes. Ce papier fait office de plaidoyer pour que l’hypothétique étiologie sociosomatique de l’HG chez les migrantes fasse objet de discussion aux confins interdisciplinaires de la psychiatrie et de l’anthropologie médicale. » (p. 626)
« Le but initial de l’étude était d’analyser le sens que les mères d’origine vietnamienne attribuaient à leur expérience périnatale au Vietnam, au camp de réfugiés et au Québec. Le but premier de l’étude était de guider les professionnels de la santé à améliorer leur communication clinique avec cette population avec laquelle ils éprouvaient des difficultés qui allaient au-delà de la barrière linguistique. Cette étude ethnographique a permis d’identifier, de façon inopinée, l’existence d’une proportion démesurément élevée de mères vietnamiennes ayant déclaré souffrir de nausées et vomissements sévères durant leur grossesse (8/19; 42 %). » (p. 626)

Questions/Hypothèses :
« Y aurait-il un lien entre le niveau socioculturel et le niveau intrapsychique? Si oui, devrions-nous nous questionner sur le type de soutien dont pourraient bénéficier les migrantes affligées de l’HG? » (p. 626)

2. Méthode

Échantillon/Matériau :
« Les résultats sont issus de l’analyse de récits recueillis auprès d’immigrantes vietnamiennes habitant une ville moyenne (140 000 personnes) du sud-est du Québec. [...] L’échantillonnage était constitué de 20 mères d’origine vietnamienne vivant dans une ville moyenne, à quelques heures de Montréal, capitale commerciale du Québec. » (p. 627)

Instruments :
« Les entrevues ethnographiques se sont déroulées au domicile des femmes interviewées souvent en présence du mari et des enfants. Les entrevues ont duré approximativement deux heures et demie et la présence d’une interprète a été nécessaire pour 14 mères. Les questions posées aux mères devaient servir à rendre compte de leurs expériences périnatales au Vietnam, au Canada et lorsque cela s’appliquait, dans les camps de réfugiés. Leurs récits étaient ensuite complétés par un questionnaire à demi structuré à questions ouvertes, inspirées de la littérature en anthropologie de la reproduction. » (pp. 627-628)

Type de traitement des données :
« Nous avons ensuite analysé les récits en nous servant des approches interprétatives et critiques de l’anthropologie médicale afin d’apprécier les significations maternelles. » (p. 628)

3. Résumé

« L’hyperemesis gravidarum (HG) est un désordre métabolique de la grossesse qui se manifeste par des nausées et des vomissements si sévères qu’ils peuvent requérir une hospitalisation. Ces patientes se caractérisent par la présence de corps cétoniques dans leur urine, de niveaux d’électrolytes altérés, par un état de déshydratation et pour plusieurs, une perte de poids plus importante que 5 %. Aujourd’hui la littérature considère l’hypothèse d’une étiologie multifactorielle caractérisée par les pôles psychologique et biologique et dont l’architecture pourrait différer d’une patiente à l’autre. Les mères immigrantes présentent de deux à trois fois plus de risque de développer l’HG que les non-immigrantes. Aucune étude n’a exploré la dimension socioculturelle du problème dans la genèse de l’HG. L’objectif de l’analyse présentée dans ce papier est de comprendre la complexité du sens que les immigrantes vietnamiennes, victimes de vomissements sévères, ont attribué à leur malaise dans le contexte de leur théorie populaire de la santé et de leur expérience migratoire. La méthode employée s’est fondée sur l’analyse de récits ethnographiques de 19 mères d’origine vietnamiennes au Québec en lien avec leur expérience de la maternité au Vietnam, au camp de réfugiés et au pays d’accueil. Les récits suggèrent que 8/19 des mères (42 %) ont souffert de nausées et vomissements sévères durant différents trimestres de la grossesse. Celles-ci ont attribué des relations causales à leurs symptômes en lien avec la théorie populaire de la santé sino-vietnamienne. Leurs explications suggèrent aussi de façon indirecte, un déséquilibre social qui serait lié à la perte du réseau familial resté au pays d’origine. Étant donné que les mères vietnamiennes ont une identité davantage collectiviste et qu’elles sont particulièrement attachées à leur réseau familial, l’analyse suggère que cette perte a eu un impact négatif considérable sur leur bien-être. Une hypothèse sociosomatique est dès lors suggérée pour expliquer la haute proportion de mères souffrant de l’HG dans cet échantillon. » (pp. 623-624)